Le concept d'évolution
Introduction : Comment expliquer, à la
fois, l'unité et la diversité du monde vivant ?
Face à cette interrogation sur le vivant deux fois millénaire, le
concept d'évolution n'a qu'une centaine d'années d'existence. En
reliant l'histoire du monde vivant à sa diversité actuelle, la théorie
de l'évolution se donne comme objectif d'éclairer scientifiquement
l'état de la nature. La diversité du vivant est devenue objet de
science.
Le créationnisme
Les grandes religions du texte proposent une
explication à l’origine du monde vivant basée sur la Création.
Longtemps le discours créationniste a été un obstacle à l’idée d’évolution. Actuellement nous assistons à un renouveau du
créationnisme (néocréationnisme, Dessein Intelligent…). Les
nouveaux créationnistes réfutent les thèses évolutionnistes en
montrant ce que la théorie de l’évolution n’explique pas et en
proposant une seule explication, celle d’une ou de plusieurs
créations divines à l’origine de la diversité du monde vivant. L’unité
des êtres vivants n’est pas mentionnée puisqu’ils réfutent les
liens de parenté entre les êtres vivants. Les créationnistes
cherchent également à ce que leurs idées soient enseignées au même
titre que la théorie de l’évolution, comme une théorie alternative.
L’immense majorité des scientifiques disent qu’il y a un danger
pour la laïcité dans cet intrusion du religieux dans la science. En
effet, la théorie de l’évolution est une théorie scientifique,
c'est-à-dire qu’elle s’est construite à partir de multiples
données d’observation, que cette théorie a été mainte fois revue,
améliorée et confirmée à partir de découvertes couvrant aussi bien
que l’anatomie comparée, la géochimie isotopique, la paléontologie,
la stratigraphie, la biologie cellulaire et moléculaire, la génétique…
Les idées créationnistes ne reposent en fait que sur des textes
révélés, on ne peut pas parler de démarche scientifique. Chaque
idée est respectable dans son ensemble mais il faut éviter toute
confusion entre science et religion : ni les objectifs ni les
méthodes ne correspondent. Il n’y a pas de débat ou d’opposition
à avoir sur ce terrain.
Des obstacles épistémologiques
à la mise en place du concept d'évolution
L’idée d’évolution des êtres vivants n’est
pas une révélation : elle correspond à une théorie scientifique qui
s’est construite progressivement. La théorie de l’évolution n’est donc
pas une simple hypothèse, mais une explication globale et cohérente,
réunissant un large faisceau d’arguments venant de disciplines
différentes (différents domaines liés aux sciences de la Terre et aux
sciences de la Vie). Un des buts de la théorie de l’évolution
est de comprendre la diversité et l’unité du monde vivant actuel en
tenant compte également des données paléontologiques qui montrent que
le monde vivant du passé n’était pas identique au monde vivant
actuel.
Quels sont les principaux obstacles
épistémologiques à surmonter pour la mise en place d'une pensée évolutive ? Nous pouvons en
retrouver certains à travers l'histoire des sciences.
La durée des temps géologiques
Pour admettre qu’une évolution puisse se faire, il
faut du temps. Les durées appréhendées sont au-delà du temps humain,
on rentre dans les temps géologiques. Il faut donc avoir les techniques
scientifiques suffisantes pour dater l’âge de la Terre et de ses
roches. Les datations absolues précises se basant sur les propriétés
de minéraux radioactifs ne sont apparues qu’au cours du 20ième
siècle.
Avant le 18ième siècle, l’âge
supposé de la Terre était alors d’un peu plus de 6000 ans. Cet âge
était proposé par l’Eglise en se basant sur les textes bibliques. Il
n’était alors pas acceptable qu’une évolution des êtres vivants
puisse se réaliser en si peu de temps.
Georges Buffon (1707 -
1788)
|
Au cours du 18ième siècle des tentatives
de datation de notre planète ont été tentées en se basant sur des
vitesses de refroidissement de boules de roches portées à blanc
(Newton, Buffon) : les âges obtenus par ces modèles ont portés l’âge
de la Terre à 50 000 ans puis un million d’années.
Au 19ième siècle, en se basant sur les
gradients de température d’un corps se refroidissant, Kelvin trouva
un âge compris entre 24 et 400 millions d’années Ces derniers âges,
même si la marge d’erreur semble phénoménale, devenaient
compatibles avec les durées nécessaires pour une évolution des êtres
vivants. |
Le concept de
génération spontané
La pensée évolutive n'est pas compatible avec le concept de génération spontanée
qui fausse la vision que l'on peut avoir des filiations entre les espèces. Le
concept de la génération spontanée sera progressivement battu en brèche par
Malpighi (1628 - 1694), Spallanzani (1729 - 1799), question close par les
travaux de Pasteur (1822 - 1895).
Des connaissances sur la procréation et les lois de l'hérédité
Charles Darwin (1809 - 1882) |
Il ne peut y avoir d’évolution que si des parents
transmettent une innovation à leur descendance. C'est une idée centrale
de la théorie de l'évolution développée par Darwin dans son
livre "De l'origine des espèces" (1859), sous l'appellation
de descendance avec modifications. Darwin postule ainsi le
passage, pour un caractère héréditaire, d'un état primitif ou
ancestral à un état dérivé.
Les connaissances
concernant la reproduction sexuée et le rôle de chaque parent sont
donc capitales pour comprendre certains mécanismes de l’évolution. Il
faudra attendre le XVIIIième siècle pour que dans la
communauté scientifique on abandonne le concept de"métamorphose"
(au sens d'Ovide) à savoir l'idée d'une transformation possible
d'un organisme adulte d'une espèce en un organisme adulte d'une
autre espèce. La littérature fantastique actuelle relayée par le
cinéma est encore friande de monstres en tout genre, de loups
garous et autres vampires, laissant entendre que ce concept de
métamorphose est encore bien présent dans notre imaginaire.
Plusieurs champs disciplinaires de la biologie sont
concernés quand on traite de la reproduction sexuée : la biologie
cellulaire avec la distinction entre les cellules somatiques (du
grec " soma " : " le corps ") et les cellules germinales (à
l’origine des gamètes), la génétique qui précise, entre autres,
les modalités de l’hérédité avec la transmission de génotypes et
leur réalisation en phénotype. Ce n’est qu’à la fin du 19ième
siècle que des découvertes ont permis de poser les bases de la
génétique (Mendel) et au 20ième siècle que des
mécanismes à l’origine de l’innovation ont été mis à jour. |
La théorie
de l'évolution : trois modèles complémentaires
C'est avec Lamarck et Darwin que naît véritablement la pensée évolutive,
pensée rendue possible nous l'avons vu par le franchissement d'un
certain nombre d'obstacles épistémologiques. La théorie actuelle de
l'évolution n'est pas, contrairement à d'autre théories scientifique
comme par exemple la théorie de la tectonique des plaques, une théorie
complètement achevée et cohérente. Elle est constituée de trois modèles
complémentaires qui ne s'excluent pas mutuellement mais dont la
cohérence générale n'est pas encore démontrée. Ainsi devrait-on parler
"des théories de l'évolution" plutôt que de "la théorie de l'évolution".
le modèle néodarwinien
Ernst Mayr (1904 - 2005) |
Ce modèle est au coeur de la théorie synthétique de
l'évolution également appelée théorie néodarwinienne de l'évolution. La
théorie synthétique de l'évolution fut nommée ainsi par Julian
Huxley en 1942 et construite plus particulièrement par Theodosius
Dobzhansky, Ernst Mayr et George Gaylord Simpson entre 1942 et 1950.
Elle est basée sur l'intégration à la théorie darwinienne de la
théorie de l'hérédité mendélienne , ainsi que sur les progrès de la
génétique des populations. Mutation et sélection y sont deux mots
clés importants pour expliquer les processus évolutifs. Ils
rappellent que la valeur évolutive d'une innovation par mutation
dépend des conditions de l'environnement. L'innovation génétique
peut se répandre ou non dans une population suivant qu'elle confère
ou non une plus grande capacité de survie ou de reproduction : c'est
la sélection naturelle. Lorsque l'ensemble des individus qui
constituent une espèce forme plusieurs populations isolées, chacune
de ces populations peut acquérir des caractères particuliers et
donner naissance à des variétés différentes au sein de la même
espèce. Si ces variations sont, par la suite, dans l'impossibilité
de se croiser, elles divergent de plus en plus et finalement
deviennent interstériles : elles constituent alors des espèces
distinctes. |
le modèle neutraliste
Motoo Kimura (1924 - 1994) |
La théorie neutraliste de l'évolution moléculaire proposée par le
généticien japonais Motoo Kimura en 1970, repose sur l'idée que
certaines mutations génétiques entraînent des changements au niveau
moléculaire (protéines) qui sont neutres au regard de la sélection
naturelle. Cela signifie que l'évolution, au niveau moléculaire
(gènes et protéines), doit au moins autant sinon plus au hasard
(c'est-à-dire à une dérive génétique aléatoire) qu'à la sélection
naturelle. Bien que certains scientifiques aient perçu cette théorie
comme anti-Darwinienne, Kimura et la plupart des biologistes
évolutionnistes actuels s’accordent à dire que les deux modèles sont
compatibles.
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le modèle des équilibres ponctués
Stephen Jay Gould (1941 - 2002) |
En 1972, S. J. Gould et N. Eldredge publient
leur théorie des équilibres ponctués destinée à combler ce qui est pour
eux une faille de la théorie synthétique de l'évolution. Les
paléontologues (comme Simpson) affirmaient en effet que l'on devrait
voir les espèces se transformer toujours très graduellement, et que l'on
devrait donc trouver des fossiles correspondant à toutes les étapes de
la spéciation. Le registre fossile n'infirme pas cette hypothèse mais ne
la vérifie pas aussi complètement que les darwiniens l'auraient
souhaité. Le nombre de fossiles que l'on pourraient qualifier de formes
intermédiaires est très faible et cette faiblesse a toujours été
abondamment utilisée par les adversaires créationnistes de la théorie
synthétique de l'évolution. S'appuyant sur les mécanismes de la
spéciation par isolement géographique de la théorie synthétique,
Eldredge et Gould remarquent que l'effectif réduit et l'isolement qui
donnent naissance à une nouvelle espèce ont pour conséquence une
probabilité de fossilisation extrêmement faible. Inversement les formes
vivantes qui laissent des traces fossiles sont celles dont les effectifs
et les aires de répartition sont le plus importantes et leur abondance
est un frein à toute évolution rapide et massive.
Le modèle des équilibres ponctués explique que la vitesse d'évolution
est variable, quasi nulle durant de longues périodes de l'histoire de la
Terre ou au contraire extrêmement rapide durant de brèves périodes (à
l'échelle des temps géologiques) de différenciation de formes nouvelles.
La divergence qui conduit à une nouvelle espèce dans un temps très court
et dans une population à faible effectif est appelée interruption ou
"ponctuation" de l'équilibre.
Le débat sera ravivé avec la critique des paléontologues Simon
Conway-Morris, Derek Briggs and Richard Fortey qui contredisent les
interprétations de Gould sur les schistes de Burgess censés illustrer la
thèse des équilibres ponctués. Leur analyse plus précise de ces fossiles
montre certes une grande diversité anatomiques mais pas de quoi conclure
qu'il y aurait là les traces d'un "saut" au moment de l'explosion
cambrienne avec de nombreuses lignées qui auraient brutalement disparu
du monde vivant tel que le prétendait Gould.
Les mutations des gènes du développement aboutissant parfois à des
hétérochronies du développement peuvent entraîner d'importants
changements dans l'organisation anatomique et morphologique de l'adulte.
Ce type d'argument est à replacer dans le modèle des équilibres
ponctuels, modèle à la fois difficile à prouver et à réfuter. |
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