EXPEDITION EREBUS

SONDAGES BATHYMETRIQUES

 

Commentaires de Guy JACQUES sur le profil Hydrologique n°1 du 13 décembre 1993

Par 44°19,2 S et 148° 31,4 E, l'Antarctica se trouvait le 13 décembre 1993 au N des différents fronts qui caractérisent l'océan austral. La température de surface, supérieure à 15°C, caractérise bien ce domaine subtropical.

Profil  vertical  0 - 3000 m

On a porté les variations à la température potentielle, de la salinité, de la masse volumique et de l'oxygène, en fonction de la profondeur.
Intéressons-nous d'abord aux 200 premiers mètres qui constituent la couche d'activité biologique maximale. L'action turbulente du vent entraîne une homogénéisation des caractéristiques physiques et chimiques dans les premières mètres, cette couche étant appelée couche de mélange. Au-delà apparaît un gradient thermique (thermocline) la température chutant de 4°C en une dizaine de mètres. Noter le parallélisme entre température et salinité. le fait que la densité augmente très rapidement (on parle de pycnocline) au même niveau souligne l'effet dominant de la température car, à température constante la baisse de salinité aurait entraîné une diminution (et non une augmentation de la densité).
Les variations de l'oxygène sont riches d'informations car elles sont influencées par les processus physiques (d'où les valeurs très élevées dans une mince couche de surface en raison des échanges avec l'atmosphère) et par l'activité biologique. Les valeurs basses entre la base de la thermocline au niveau 200 m traduisent certainement l'oxydation, par les bactéries, de la matière organique produite en surface et qui sédimente.
En profondeur, s'observe un minimum vers 1600 m au coeur de l'Eau Circumpolaire Profonde. Cette masse d'eau s'étant formée plusieurs centaines d'années auparavant, au nord de l'Atlantique, elle a reçu durant des centaines d'années de son transit, une “ pluie ” organique dont l'oxydation a consommé l'oxygène.

Diagrammes Température-Salinité

On a porté la température en fonction de la salinité. Le long de la courbe, on indique les profondeurs, en centaines de mètres (plus exactement en centaine de décibars). En surimpression, sont tracées les courbes d'égales masses volumiques.
Ces diagrammes constituent l'outil idéal pour l'analyse des différentes masses d'eau. Classiquement, dans les premières centaines de mètres, les variations de température et de salinité sont importantes puisque les eaux superficielles subissent directement les effets climatiques. Le minimum de salinité (34,5g/L) caractérise l'Eau Antarctique intermédiaire qui a “ plongé ” au niveau du front polaire. Cette masse d'eau a déjà atteint son niveau d'équilibre et circule à ce niveau vers le nord “ alimentant ” en nutriments les remontées d'eaux côtières intertropicales. Une hypothèse récente voudrait même qu'en remontant l'intérieur des récifs coralliens, cette eau soit à l'origine de leur haute productivité.
Entre 1500 et 2000 m on trouve l'Eau Circumpolaire Profonde que nous avons précédemment décrite. Il sera intéressant de suivre, au fur et à mesure du voyage de l'Antarctica, sa lente remontée vers la surface.
Enfin, à 2500 m un point d'inflexion du diagramme TS. A 3000 m semble s'approcher d'une masse d'eau plus froide et moins salée. Si la bathysonde avait pu plonger au-delà, elle aurait détectée l'Eau Antarctique de Fond formée, en hiver, le long du continent et qui est la plus dense des eaux du globe. Plus près de la mer de Ross, sur des fonds moins importants, l'Antarctica arrivera bien à la détecter.

Zoom sur la couche superficielle de la station 1

Sur le profil complémentaire de surface (fluorescence, etc) de la station n°1, on peut situer avec plus de précision la position du minimum d'oxygène ; il se trouve au-dessous de la thermocline c'est-à-dire qu'il est “ piégé ” et est ainsi à l'abri des échanges avec l'atmosphère ; son évolution dans le temps dépendra donc uniquement des phénomènes biologiques.

 

Commentaires de Guy JACQUES sur les profils n°2 du 14/12/93 et n°3 du 18/12/93

Profils dans la couche de surface aux trois stations.

Nous possédons, à chacune des trois premières stations, des profils verticaux détaillés. Attention cependant car :
1 - L'échelle de profondeurs n'est pas la même (0 à 200 m à la station n°1 ; 0 500 m à la station n°3).
2 - Les “ paramètres ” représentés diffèrent quelque peu : si la température potentielle, la teneur en oxygène et la chlorophylienne sont constamment représentées, ces profils sont complétés par la salinité aux stations n°1 et n°3 et par la quantité de lumière disponible pour la photosynthèse (PAR = Photosynthetic Available Radiation) à la station n°2.

Les profils thermiques soulignent le passage de l'océan “ tropical ” stratifié (thermocline vers 70-80 m à la station n°1) à la zone subantarctique (station n°2) où se produit un fort mélange vertical dû au vent (“ cinquantième hurlants ”) ; la distribution de l'oxygène confirme l'intensité du mélange vertical.
Quant à la station n°3, elle est typique du domaine antarctique avec une température superficielle inférieure à 4°C. Le “ réchauffement ” superficiel suffit à isoler cette couche superficielle de l'Eau Antarctique d'Hiver située vers 110 m qui représente un minimum thermique et une salinité plus élevée.
Cette pycnocline (gradient de densité) apparaît très bien sur le profil de densité de la coupe 0 ==> 3300 m ; elle se renforcera en même temps que le réchauffement superciel qui culminera en février au coeur de l'été austral.

Cette eau d'hiver constitue la “ mémoire ” des conditions ayant régné durant l'hiver austral précédent.

Il faut être circonspect sur l'interprétation des données de fluorescence qui sont données en unités relatives. C'est dire qu'elles ne sont pas calibrées à bord (en effectuant des dosages de la teneur en chlorophylle a ) ; encore faut-il savoir que le terme “ calibration ” serait impropre car il n'y a pas de relation simple entre teneur en chlorophylle et fluorescence, celle-ci dépendant également de l'état physiologique des algues, de l'heure de la journée, etc ?

L'allure des profils est “ classique ” : attention à l'échelle de fluorescence qui est logarithmique : léger minimum en surface, répartition pratiquement homogène en dessous avec un léger maximum au milieu de la couche euphotique. Les valeurs chutent ensuite rapidement en dehors de la couche éclairée.

Si on donnait foi aux unités relatives de fluorescence, on devrait conclure à une teneur en chlorophylle dix fois inférieure à la station n°2 comparée à la fois à la station n°1, purement tropicale et à la station n°3, purement antarctique. Que le phytoplancton soit plus pauvre à la station n°2 est très probable, car le mélange vertical entraîne les algues à des niveaux de faible éclairement. Mais un facteur 10 n'est pas vraisemblable, le profil de pénétration de la lumière en constituant une preuve indirecte.

Le niveau où l'on trouve encore 1% de la radiation de surface se situe à 40 m ; or, dans un milieu océanique qui ne subit pas d'apport terrigène, la transparence de l'eau dépend uniquement de sa concentration en phytoplancton. 40 m représentent une épaisseur de couche euphotique moyenne, donc une teneur en chlorophylle moyenne. Dans les secteurs les plus pauvres de l'océan Antarctique, l'immersion du 1 % peut, en effet, atteindre 100 m.

Profils verticaux sur toute la colonne d'eau et diagramme T-S à la station 3

Par 56° de latitude sud, la station n°3 est caractéristique de la zone du Front Polaire. L'abaissement de la température mais également l'évolution de la salinité dans les premiers mille mètres rend compte du passage du domaine tropical (station n°1) au domaine antarctique (station n°3). A remarquer l'inversion des profils de salinité avec un gradient surface ===> 1000 m décroissant en milieu tropical et un gradient croissant dans l'océan antarctique liée à la fonte des glaces en surface.

La superposition des diagrammes T-S montre la “ disparition ” de l'Eau Antarctique Intermédiaire qui a plongé plus au nord. Elle souligne également magnifiquement la remontée de l'Eau Circumpolaire Profonde. En 12° de latitude, soit 720 miles (= 1300 km), cette masse d'eau remonte de 1000 m, ainsi que l'isopycne (ligne d'égale densité) 27.70, qui se situait environ à 2000 m à la station n°1, et qui est maintenant à 1000 m (de même l'isopycne 27.80 est passé de 3000 m à 2000 m).

Il faut également s'intéresser aux caractéristiques du prélèvement le plus profond, donc à l'eau la plus dense. Comparons ses caractéristiques aux stations n°1 et 3 :
 - station n°1 à 3000 m : température = 1,50°C ; densité = 27,75
 
- station n°3 à 3300 m : température = 0,35°C ; densité = 27,82

La véritable Eau Antarctique de Fond (densité > 27,85) est proche.

Pour plus d'informations 
Consulter le document “ l'Antarctique et l'Environnement polaire ” Tome 2 “ Expédition Erébus ” (CNDP collection “ Autrement dit ”), livret 2, fiches Océano 1 et Océano 4.