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Sélection naturelle  

Un petit historique

La sélection naturelle selon Darwin (1809-1882)

La " sélection naturelle " permet à Darwin d’expliquer comment les espèces se différencient au cours des temps géologiques. Les fondements de cette théorie reposent sur ses observations au cours d’un tour du monde de 5 ans à bord du Beagle : l’étude de différentes espèces de pinsons des îles Galapagos montrait des adaptations de ces oiseaux à des environnements particuliers. Il publiera le célèbre " De l’origine des espèces… " en 1859 soit 23 ans après son voyage. 
En premier lieu Darwin remarque que la reproduction au sein des espèces devrait amener à une croissance exponentielle des individus. Pourtant les populations restent stables. A cela s’ajoute que les ressources naturelles sont limitées et plus ou moins constantes sur le long terme (abstraction des phénomènes saisonniers cycliques). Se basant sur un concept de Malthus (économiste qui a rédigé des essais sur la croissance des populations humaines) Darwin en déduit qu’il y donc un équilibre qui s’installe entre les populations et les ressources naturelles disponibles. Une nouvelle déduction découle de la première : une concurrence s’installe donc entre les êtres vivants. 
Un autre fait se rajoute à cette dernière déduction : dans une même population les individus sont différents (on parle aujourd’hui de variabilité allélique ou polymorphisme des espèces). Il en déduit qu’une population comporte donc des individus potentiellement plus adaptés que d’autres et que la mise en concurrence de ceux-ci amènera à sélectionner les plus aptes. Il y a donc une "sélection naturelle" qui va aboutir à une transformation graduelle des populations en sélectionnant des caractères favorables. La suite de ces transformations amenant à une spéciation, par "persistance des plus aptes". 
Darwin pondère son propos en ajoutant que tous les caractères ne sont pas pris en compte par une sélection naturelle : certains caractères sont favorables, d’autres nuisibles mais la plupart restent "insignifiants" (pas de prise de la sélection naturelle sur ces caractères qui vont donc persister). Les caractères sélectionnés vont alors se transmettre de façon héréditaire. 
Les principales nouveautés portent donc surtout sur une théorisation des causes évolutives , "la sélection naturelle", pour laquelle il apporte nombre de faits d’observations issues de ses voyages. Il se démarque aussi de Lamarck en considérant la possibilité de culs-de-sac évolutifs dans lesquels on voit disparaître des populations ou espèces que la sélection naturelle élimine. 

La théorie neutraliste

Motoo Kimura (1924-1994) complétera avec la " théorie neutraliste " avançant que les mutations aléatoires ne sont pas forcément soumises à la sélection naturelle et que l’évolution peut aussi être le fruit du hasard : en cela il propose une évolution non guidée, s’écartant de tout finalisme. Il y a donc une dérive génétique aléatoire expliquant le fort polymorphisme des populations.

Qu’est-ce qui est le plus couramment admis aujourd’hui ?

On ne peut plus considérer la " sélection naturelle " comme une cause véritable de l’évolution, mais certains mécanismes décrits par Darwin restent tout à fait scientifiquement recevables (à la lumière des connaissances actuelles). 
Darwin se trompe quand il dit que l’environnement " oblige " les organismes à s’adapter et donc créé de l’innovation : il reste dans l’idée que " la fonction créé l’organe " de Lamarck et pense également que les adaptations réussies par des organismes au cours de leur existence se transmettent à la descendance (ce qui paraît aujourd’hui non recevable puisque les découvertes en génétique ont montré que, globalement, il ne doit pas y avoir de transmission héréditaire de caractères acquis). 
Darwin a raison de donner un rôle à l’environnement dans la sélection de certains caractères : il y a manifestement des formes de vie plus adaptées que d’autres dans un environnement donné. Par contre la question était de savoir si l’environnement avait le " pouvoir " de transformer les êtres vivants.
Enfin, mais Darwin le disait déjà, toutes les attributions ne sont pas soumises à sélection : des formes ne présentent ni avantage, ni inconvénient dans un environnement donné, on dirait aujourd’hui que la majorité des allèles (issus des mutations) sont neutres, ce qui explique la grande diversité intraspécifique. Si toute caractéristique était soumise à une sélection naturelle, les formes de vie auraient une tendance à toutes se ressembler et on n’observerait pas l’actuelle diversité. 

La sélection agit donc, à la manière d’un filtre, sur quelques caractères dont l’existence initiale repose totalement sur le hasard des mutations qui les ont fait apparaître. La " sélection naturelle " n’est donc pas la cause de l’évolution mais le tamis sélectif réduisant la diversité possible des formes de vie issues du hasard et des aléas de la génétique.

Un exemple théorique 

Une mutation affecte un gène, faisant apparaître ainsi deux allèles (versions différentes) de ce gène. Chaque allèle est à l’origine de deux phénotypes différents. Il y a donc eu une innovation génétique, causée au hasard par une mutation qui a pour conséquence une augmentation de la diversité.
Cette diversité est observable mais elle diffère selon les environnements. Il y a donc un filtre.
Si les deux phénotypes sont placés dans un environnement 1, défavorable au phénotype 2 : au bout de plusieurs générations, seul le phénotype 1 s’observera dans cet environnement. La mutation n’ est donc pas neutre.
Si les deux phénotypes sont placés dans un environnement 2, ni défavorable, ni favorable pour les deux phénotypes : au bout de plusieurs générations, les deux phénotypes perdurent. La mutation est neutre.
Si les deux phénotypes sont placés dans un environnement 3, défavorable au phénotype 1 : au bout de plusieurs générations, seul le phénotype 2 s’observera dans cet environnement. La mutation n’ est donc pas neutre.

Comme on le voit une mutation n’est pas favorable ou défavorable, à priori. Cela montre bien l’aspect aléatoire de la mutation, non seulement en tant que cause mais également dans ses conséquences : ce sont les mutations qui sont à l’origine de la diversité. Cela montre que l’environnement ne provoque pas une évolution des formes de vie mais exerce une pression sélective qui peut aboutir à une diminution de la diversité (environnements 1 et 3 de l’exemple) ou bien à son maintien (environnement 2).

Cet aspect du rôle de l’environnement est d’ailleurs subtilement exploité par les néo-créationnistes : le filtre environnemental, en sélectionnant certains phénotypes plutôt que d’autres, donne l’illusion d’une évolution guidée, dirigée et qu’il existe donc une forme de finalisme (si finalité il y a, alors elle est d’essence divine).

Il n’y a aucune finalité, on voit bien qu’il y a tout d’abord un hasard (c’est ce hasard que les créationnistes refusent le plus, en fait), puis une sélection non guidée : l’évolution est hasardeuse et opportuniste, elle n’obéit à aucune " feuille de route ".

Trois exemples de pression sélective environnementale

La Phalène du Bouleau

La phalène du bouleau (Biston betularia L.) est un papillon nocturne des régions tempérées. Ce papillon se rencontre sous deux formes, une de couleur claire dit typica et l'autre sombre dit carbonaria ou mélanique (la couleur des ailes étant due à la quantité d'un pigment appelé  mélanine présent dans les cellules). Le déterminisme génétique de cette coloration est monogénique et autosomique, l'allèle carbonaria c+ étant dominant sur l'allèle typica c [forme mélanique] : cc+ ou c+c+ [forme claire] : cc.

Forme claire et sombre de la Phalène du Bouleau

Au cours du XIXe siècle, des biologistes anglais observent que la forme sombre devient plus fréquente à proximité des villes industrielles (observée pour la première fois en 1848 dans la région de Manchester, cette forme sombre est devenue largement majoritaire en 1895 dans cette même région  :  98% de la population). Ce phénomène est à mettre en relation avec  la pollution atmosphérique issue des  résidus de combustion du charbon (émis par l'industrie locale). En conséquence,  les troncs et les branches des arbres devenaient plus sombres (à la fois par les dépôts de fumée mais surtout par la disparition des lichens plus clairs qui les recouvraient). 

Ces papillons nocturnes se posant en journée sur les arbres, il a été montré que le taux de survie des individus de type sombre était plus élevé que celui des individus de type clair, probablement parce que ces derniers étaient plus visibles aux yeux de leurs prédateurs oiseaux.

 

Formes claire et sombre sur tronc "pollué"

Vers  la fin des années 1960, des mesures  sont prises  pour améliorer la qualité de l'air. La diminution de la pollution provoque  un retour à des troncs d'arbres plus clairs (moins de suie déposée sur les écorces, retour des lichens). On observe parallèlement un retour des formes claires de phalènes. 

 

Formes sombre et claire sur tronc "propre"

Les évolutions rapides constatées au sein des populations des phalènes du bouleau,  mises en relation avec des facteurs environnementaux et une pression de prédation, représentent un exemple souvent utilisé pour illustrer la sélection naturelle. Cet exemple peut être partiellement remis en cause pour deux raisons principales :

  • le mélanisme intervient également dans la thermorégulation de ces insectes : ce n'est donc pas qu'un facteur de camouflage

  • les premières études sont statistiquement discutables (méthodes de comptage à revoir) 

Mais :

  • il a été constaté le même phénomène d'évolution des populations chez d'autres insectes

  • une étude récente est en cours, tenant compte de meilleures méthodes de comptage : elles semblent appuyer l'idée d'une sélection naturelle rapide par pression de prédation.

Drépanocytose et environnement à paludisme

La drépanocytose est une maladie due à la présence d'hémoglobine anormale dans les globules rouges. C'est une mutation ponctuelle du gène codant pour la chaîne b de l'hémoglobine qui provoque l'apparition de l'allèle HbS (HbA étant l’allèle normal).
Les humains étant des organismes diploïdes, ils ont tous leurs chromosomes en double exemplaire. En conséquence, chacune de nos cellules possède deux fois le gène permettant la fabrication de la chaîne b de l'hémoglobine. Par contre la version de ce gène, l’allèle, n’est pas obligatoirement la même d’un chromosome à l’autre, donc trois cas sont possibles :  

  • Une personne avec les deux allèles " sains " : cette personne est normale et transmet toujours un allèle HbA à sa descendance.

  • Une personne avec l’allèle HbA et l’allèle HbS : cette personne est " porteuse saine ", c'est-à-dire qu’elle ne développe pas la maladie mais est susceptible de transmettre l’allèle HbS à sa descendance (un risque sur deux)

  • Une personne avec les deux allèles HbS sera malade et la maladie est le plus souvent mortelle avant la puberté. 

Statistiquement, la drépanocytose étant une maladie mortelle avant que les porteurs malades ne puissent se reproduire, l’allèle HbS devrait disparaître avec le temps, la mutation étant clairement défavorable. En fait, elle ne devrait même plus exister. Pourtant cette maladie, qui cause des ravages sur le continent africain principalement, perdure.

On peut donc envisager que la mutation est défavorisante dans certains environnements mais qu’elle peut aussi conférer un avantage dans d’autres environnements.
On remarque que la drépanocytose est maintenue dans les régions où sévit le paludisme, maladie qui n’a rien d’héréditaire puisqu’il s’agit d’une maladie parasitaire transmise par l’anophèle. Quel lien entre drépanocytose et paludisme ?
Les individus homozygotes porteurs de l’allèle HbS ne sont pas plus avantagés dans un environnement à paludisme que dans un environnement dépourvu de ce fléau : la maladie est mortelle. Par contre il a été constaté que les individus hétérozygotes pour le gène de la béta-globine (individus porteurs à la fois de l’allèle HbA et HbS) sont davantage protégés contre le paludisme que les individus homozygotes " sains ", porteurs de l’allèle HbA uniquement. Il en résulte dans les zones à paludisme :

  • Une mortalité des homozygotes HbS // HbS (pression de sélection négative de la mutation)

  • Une plus forte mortalité des homozygotes HbA // HbA que des hétérozygotes HbA // HbS (pression de sélection négative du paludisme compensée par une pression de sélection positive de la mutation pour les hétérozygotes)

  • Donc l’allèle HbS est maintenu dans les populations vivant en zone de paludisme.

Comme on le voit la même mutation a des conséquences différentes ou convergentes selon les environnements : on comprend ainsi un des mécanismes expliquant qu’à partir d’une population originelle, on aboutit à deux populations (séparées géographiquement) présentant des fréquences d’allèles différentes.

Le sixième doigt du Panda

Le doigt supplémentaire, ou "faux pouce", formé par un os du carpe (l'os sésamoïde radial) hypertrophié est d'une importance vitale pour le célèbre panda géant et son petit semblable (sans parenté directe), le panda rouge, qui l'utilisent pour attraper plus facilement les pousses de bambous dont ils se nourrissent.

 

 

Panda roux

Panda géant

En l'observant, le paléontologue américain Stephen Jay Gould avait élaboré, il y a plus d'un quart de siècle, son concept de contingence dans l'évolution, c'est-à-dire une hypothèse selon laquelle la vie est soumise non pas à des transformations lentes et continuelles, comme l'imaginait Darwin, mais à des choix rapides et aléatoires. Le faux doigt du panda n'est pas apparu progressivement mais de façon brutale et n'est donc pas la conséquence d'une adaptation à un régime alimentaire.
Par contre il est indéniable que ce sixième doigt facilite l'alimentation des pandas et donc qu'une pression de sélection positive s'exerce chez les mangeurs de bambou pourvus de cet appendice supplémentaire. Nous ne sommes pas dans le célèbre (mais faux) "la fonction créé l'organe" de Lamarck mais plutôt dans un "l'organe peut améliorer la fonction". Contrairement à ce que les paléontologues supposaient, le fameux sixième doigt ne lui servait pas à l'origine à manipuler de la nourriture, mais à faciliter ses déplacements. En effet, la découverte  d'un ancêtre du panda roux, appelé Simocyon batalleri, montre que cet animal vieux de neuf millions d'années possédait, tout comme son descendant herbivore, un sixième doigt.
En étudiant sa denture, il a été découvert que cet animal mangeait essentiellement de la viande, et non des végétaux comme le petit panda actuel. C'est pourquoi  Simocyon n'utilisait pas son sixième doigt pour saisir les pousses de bambou comme le fait aujourd'hui le petit panda, mais plus certainement pour aider à sa locomotion dans les arbres :  le squelette de Simocyon, de la taille d'un puma, présente des particularités morphologiques qui indiquent un mode de vie arboricole. Les données recueillies indiquent qu'il vivait dans un environnement peuplé de nombreux prédateurs. Dans ce contexte ce carnivore plutôt charognard et peu véloce  pouvait donc leur échapper en grimpant aisément dans les arbres.

 

Simocyon batalleri

Aujourd'hui, des millions d'années ont passé ; l'environnement et le mode de vie du petit panda sont très différents de ceux de Simocyon, au point de rendre obsolète l'utilisation originelle de son sixième doigt. Mais comme son régime alimentaire s'est aussi modifié, l'usage premier de ce faux pouce s'est transformé en un usage second et unique, à savoir la manipulation de bambous et autres feuillages.  Le faux pouce du petit panda est un merveilleux exemple d'exaptation, ou réadaptation secondaire, soit une structure dont la fonction ou l'usage actuel est différent de la fonction originelle.

En conclusion

  • le sixième pouce du Panda est apparu de façon brutale et aléatoire (on parle de contingence) sans être la conséquence d'une sélection naturelle.

  • sa fonction première a été de faciliter les déplacements de l'animal primitif dans les arbres : on peut dire ici que l'environnement a sélectionné favorablement cette innovation.

  • au cours des temps géologiques, l'alimentation des Pandas a changé, ils sont devenus végétariens en mangeant de façon exclusive des pousses de bambou. La fonction du sixième doigt a également changé, devenant un "outil" intéressant pour ce régime alimentaire.

La sélection naturelle n'est pas source d'innovation mais peut favoriser (ou l'inverse) et maintenir un caractère particulier sans pour autant lui attribuer un seul intérêt : l'évolution est opportuniste.